Puis-je rester maître/sse de mes pulsions sexuelles ?

Résumé :

L’article pose une problématique : est-ce possible de rester maître/sse de ses pulsions sexuelles pour s’autoriser à franchir des limites dans les interactions hommes-femmes ? J’apporte dix éléments de réponse (dix lanternes pour éclairer notre compréhension), en ayant pour point d’ancrage une histoire entre un moine et son disciple.

 
« Le long d’un ruisseau, un moine et son jeune disciple se promènent en devisant sur la sagesse bouddhiste. Soudain, ils sont interrompus par une ravissante jeune fille qui réclame leur aide pour traverser le cours d’eau. Le vieux moine la prend dans ses bras et la dépose sur l’autre rive. Puis il reprend sa promenade avec son compagnon. Ils marchent une demi-heure en silence. — Pourquoi restes-tu si longtemps sans prononcer un seul mot, interroge le vieux moine, que t’arrive-t-il ? — Maître, je suis scandalisé par votre conduite avec cette jeune femme. Vous l’avez prise dans vos bras. — Oui, c’est vrai. Mais moi je l’ai déposé il y a une demi-heure ! Toi, tu l’as encore dans les bras. (1) »

Avant de continuer la lecture de l’article, je te prie, cher lecteur, chère lectrice, de te faire une réflexion au sujet de l’historiette (et de nous partager ce que tu retiens en commentaire de ce texte).

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La problématique que je pose est la suivante :

Dans le fond, est-ce possible de rester maître/sse de ses pulsions sexuelles pour s’autoriser à franchir des limites dans les interactions hommes-femmes ?

J’éclaire cette problématique sous dix lanternes.. Bonne lecture.

🏮 1 🏮

Y a-t-il des lois spécifiques pour certaines personnes ? Si j’élève ma spiritualité à un certain degré par exemple, est-ce que je peux me dispenser de ce qu’on requiert du commun des mortels ?

La réponse est non. En effet, une règle islamique instaure que les limites sont valables pour tout le monde [2]. Personne n’est au-dessus des lois. Et dans l’histoire, les limites dans l’interaction avec l’autre genre sont franchises (quand le moine porte la femme dans ses bras).

🏮 2 🏮

La nécessité ne lève-t-elle pas des interdits dans l’interaction homme-femme ?

Oui, la nécessité lève l’interdit [3]. Mais il ne faut pas omettre une des conditions de ladite règle stipulant que « la nécessité s’évalue à sa juste valeur ». Et, dans l’historiette, la contrainte de la femme, apparemment, n’était pas au point de devoir la soulever dans les bras. Le moine aurait pu évaluer le besoin pour trouver une solution plus appropriée, à la juste mesure du défi qu’elle rencontrait. Retenons bien, il ne s’agit pas de refuser son assistance, mais de choisir la manière la plus digne de la servir.

Anecdote. Je me souviens, durant mon séjour de six ans à Al-Azhar (université islamique au Caire), j’étais en chemin avec mon ami et colocataire pour aller étudier chez Othmane. Sur la route, deux jeunes filles portaient des affaires lourdes. Je me suis naturellement tourné vers mon ami : allons les aider ! Il refusa. Je me suis quand même porté volontaire et j’ai proposé mon aide : « عايْزينْ مُساعْدة؟ » (en dialecte égyptien : avez-vous besoin d’aide ?). Elles répondirent par la négative, et je rejoignis mon ami [4].

🏮 3 🏮

L’homme (masculin) ne peut-il pas établir une interaction avec un être humain, avant de considérer qu’il est en interaction avec une femme ?

Ce que je retiens est que l’homme est assujetti à la passion. Oui, un homme peut dompter ses passions, mais ça reste assez exceptionnel. De plus, son calme (sa maîtrise de soi) du départ peut vite changer en excitation (après le calme, la tempête .. c’est comme s’il avait en lui une boule d’énergie sexuelle qui peut exploser à la moindre étincelle).

Aussi, il peut s’en aller avec la meilleure intention du monde et la plus pure de toutes, mais s’en retourner dans un tout autre état, parfois malgré lui (par exemple, il peut être surpris de lui-même à se voir fantasmer sur cette personne qu’il voulait simplement aider).

J’ajoute que l’éveil de ces sentiments est tout aussi valable dans l’histoire pour le moine que pour le disciple ou la femme…

🏮 4 🏮

N’est-ce pas la bonne intention qui fait la valeur d’une action ?

Il est important de signaler que l’intention (évoquée dans la lanterne précédente) ne justifie pas tout [5] ! En islam, l’action a de la valeur si elle combine deux éléments : la sincérité de l’acte certes, mais associée à la validité de l’acte aux yeux du Législateur [6]. On lit cette règle dans la dernière âya de Sûrat al-Kahf (Coran 18/110, la {bonne action} étant ce que Dieu agrée) où Dieu révèle à Son Messager sws de dire [7] :

« فَمَنْ كَانَ يَرْجُوا لِقَاءَ رَبِّهِ فَلْيَعْمَلْ عَمَلًا صَالِحًا وَلَا يُشْرِكْ بِعِبَادَةِ رَبِّهِ أَحَدًا

Je ne suis qu’un être humain comme vous. Il m’a été révélé que votre Dieu est un Dieu Unique. Que celui qui espère donc rencontrer son Seigneur accomplisse de bonnes actions (qu’il œuvre une œuvre bonne) et Lui voue son adoration sans jamais Lui associer personne ! »
— Noble Coran, sûrat 18, dernier verset


🏮 5 🏮

Toute situation ne dépend-elle pas de différents paramètres dans lesquels elle survient ?

Oui, on ne peut nier que différents paramètres, tel que la vieillesse, la religiosité ou le fait qu’une personne soit observée joue sur la validité de l’action.. Mais ces paramètres jouent seulement dans les limites du modulable/malléable, et non en dehors, les zones rouges. Autrement dit, on peut élargir la sphère du permissible, dans le cadre de la bonne œuvre et la bonne intention.

Par exemple, afin de statuer sur une sortie entre hommes et femmes, nous pouvons vérifier la maturité des gens qui y participent (une sortie familiale n’a pas le même statut qu’une sortie entre adolescents et adolescentes), du lieu de rencontre (se voir dans un parc n’est pas comme une rencontre dans un chalet), etc. En somme, une telle sortie dépend de plusieurs paramètres qui sont là pour garantir l’éveil spirituel de chacun et faire régner la noble fraternité.

🏮 6 🏮

Dans l’histoire, le disciple a-t-il eu raison de juger son maître ?

Le disciple a eu raison dans son observation. En répondant au moine, il a, en premier lieu, jugé (ou demandé des clarifications [8]) selon les apparences. Et c’est ce que nous sommes demandé.e.s de faire : appeler au bien selon ce qui apparaît à nos yeux, car seul Dieu regarde les cœurs [9].

En deuxième lieu, il a jugé selon sa prédisposition naturelle à reconnaître le bien (la fitra). Il n’est peut-être pas au même degré de connaissance que le moine, mais il n’empêche que sa boussole intérieure le guide [10]. Et c’est une disposition que nous avons à chercher, par la purification et l’illumination de notre cœur.

Enfin, en troisième lieu, le disciple a (3) honoré sa responsabilité de faire un rappel, quel que soit le statut de la personne qui lui fait face, car à la vérité, nous sommes tous soumis. En ce sens l’imam Malik dit, en pointant vers le lieu où le Prophète Muhammad sws est enterré [11]:

« كل أحد يؤخذ من قوله ويرد إلا صاحب هذا القبر

De toute personne on prend et on rejette, si ce n’est l’être qui gît dans cette tombe »
— Malik ibn Anas
“De toute personne on prend et on rejette, si ce n’est l’être qui gît dans cette tombe” - Malik ibn Anas rd.

“De toute personne on prend et on rejette, si ce n’est l’être qui gît dans cette tombe” - Malik ibn Anas rd.

🏮 7 🏮

Peut-on donner raison au moine lorsqu’il se justifie ?

En reprenant les points précédents, la justification du moine apparaît invalide. Supposons même que nous lui donnons raison, il reste que c’est une exception (que de pouvoir dompter ses pulsions au point de déposer, au sens propre et figuré, la jeune dame) et de l’exception on ne peut pas bâtir une loi générale [12].

🏮 8 🏮

La femme est-elle la principale personne à condamner ?

Non. Au lieu de la condamner instinctivement et de la voir comme une tentatrice, on peut développer une attitude respectueuse et chercher le bien en la jeune femme, pour ensuite se comporter dans le bel-agir. C’est ce à quoi nous engage l’éthique islamique : penser du mieux de son prochain et agir avec excellence. En ce sens, cette âya :

«  يَا أَيُّهَا الَّذِينَ آمَنُوا اجْتَنِبُوا كَثِيرًا مِنَ الظَّنِّ إِنَّ بَعْضَ الظَّنِّ إِثْمٌ
Ô croyants ! Évitez de trop conjecturer sur les autres, car il est des conjectures qui sont de vrais péchés. »
— Noble Coran, sûrat 49. début du verset 12

🏮 9 🏮

Le disciple a réagi à l’action de son maître sans que ce dernier ait eu à parler. Que pouvons-nous en retenir ?

Nous retenons combien nous transmettons dans le silence. Le silence du disciple nous dit combien l’agir du moine a eu de l’effet sur lui. Tu transmets énormément par tes actions et, comme le dit la citation :

« Your actions speak so loudly, I cannot hear what you are saying!
Tes actes parlent si fort que je n’entends pas ce que tu dis! »
— Ralph Waldo Emerson


🏮 10 🏮

Une dernière lanterne ?

Pour terminer sur une note positive quant au moine.. Il a poussé son disciple à extérioriser ses émotions.. Il a brisé le silence et a mis des mots sur les maux. Il nous dit que le silence est parole : le fait que son disciple garde le silence lui dit que celui-ci vit une situation difficile. Il nous enseigne l’empathie a avoir pour voir ce que notre compagnon ou compagne vit à l’intérieur.

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Ce furent 10 lanternes pour nous éclairer sur le sujet..

Que Dieu fasse de nous des lanternes .. qui abritent une source de lumière, et qui la diffusent pour éclairer notre entourage .. Amîn.

Pour aller plus loin .. vous auriez été à la place du disciple, auriez-vous continué à suivre les enseignements du moine ? Pourquoi ?


[1] Historiette rapportée par Hubert Reeves dans « La petite affaire jaune » et intitulée « Encore dans les bras ».

[2] Dans les sciences islamiques, il y a des règles qui fondent l’étude du droit musulman. L’une d’entre elles est celle citée dans le texte (le prohibé se caractérise par la régularité, l’exhaustivité et la généralisation).

انظر في القواعد الاصولية في حكم الحرام، قاعدة "عموم الحرام". وانظر وهبة الزحيلي في "نظرية الضرورة" ص23 : "يتصف الحرام في الاسلام بصفة الاطراد والشمول والتعميم (...) وليس في الاسلام امتيازات خاصة".

[3] Il s’agit également de règles juridiques.

انظر في القواعد الاصولية في حكم الحرام، قاعدة "الضرورات تبيح المحظورات" وتكملة القاعدة: "الضرورة تقدر بقدرها". وانظر وهبة الزحيلي في "نظرية الضرورة" ص230.

[4] L’exemple d’excellence à ce propos reste celui du Prophète Moïse sws avec les deux jeunes femmes (Coran 28/23-24 Sourate du Récit, Al-Qasas).

[5] J’ajoute dans cet angle que comme l’intention ne saurait tout justifier, les traditions (la culture, les us et coutumes) non plus ne sauraient tout permettre.

[6] Autrement dit : vouer une intention pure et sincère pour Dieu et que Dieu légifère et autorise l’action.

قال الفضيل بن عياض في قوله تعالى: {لِيَبْلُوَكُمْ أَيُّكُمْ أَحْسَنُ عَمَلًا} [الملك: 2]. قال: "أخلصه وأصوبه". قالوا: يا أبا علي، ما أخلصه وأصوبه؟ قال: "إن العمل إذا كان خالصا ولم يكن صوابا لم يقبل، وإذا كان صوابا ولم يكن خالصا لم يقبل، حتى يكون خالصا صوابا، والخالص: أن يكون لله، والصواب: أن يكون على السنة" [ذكره أبو نعيم في الحلية].

[7] Traduction du sens du verset par Mohamed Chiadmi.

[8] Remarquons que le disciple a, poliment, fait une rétrospection descriptive (un feedback sur les faits) et non une condamnation avec des jugements.

[9] Le fait qu’une telle citation provient du Prophète Muhammad sws est discutable.

انظر " المقاصد الحسنة في بيان كثير من الأحاديث المشتهرة على الألسنة" للسخاوي المتوفى سنة 902 هـ (حَدِيثٌ رقم 178 " أُمِرْتُ أَنْ أَحْكُمَ بِالظَّاهِرِ، وَاللَّهُ يَتَوَلَّى السَّرَائِرَ" ص91 ط/الخانجي) و كذلك "كشف الخفاء ومزيل الالباس عما اشتهر من الاحاديث على ألسنة الناس" للعجلوني، المتوفى سنة 1162 هـ.

[10] Voir les « 40 hadîths Nawawî », hadith n.27 : « la piété est constituée par le meilleur comportement, alors que le mal est ce qui trame dans ton cœur et que tu répugnes que les gens en aient connaissance », avec également le conseil prophétique : « interroge ton cœur (consulte ta conscience) ».

عَنْ النَّوَّاسِ بْنِ سَمْعَانَ رَضِيَ اللهُ عَنْهُ عَنْ النَّبِيِّ صلى الله عليه و سلم قَالَ: "الْبِرُّ حُسْنُ الْخُلُقِ، وَالْإِثْمُ مَا حَاكَ فِي صَدْرِك، وَكَرِهْت أَنْ يَطَّلِعَ عَلَيْهِ النَّاسُ" رَوَاهُ مُسْلِمٌ [رَوَاهُ مُسْلِمٌ، #4632]. وَعَنْ وَابِصَةَ بْنِ مَعْبَدٍ رَضِيَ اللهُ عَنْهُ قَالَ: أَتَيْت رَسُولَ اللَّهِ صلى الله عليه و سلم فَقَالَ: "جِئْتَ تَسْأَلُ عَنْ الْبِرِّ؟ قُلْت: نَعَمْ. فقَالَ: استفت قلبك، الْبِرُّ مَا اطْمَأَنَّتْ إلَيْهِ النَّفْسُ، وَاطْمَأَنَّ إلَيْهِ الْقَلْبُ، وَالْإِثْمُ مَا حَاكَ فِي النَّفْسِ وَتَرَدَّدَ فِي الصَّدْرِ، وَإِنْ أَفْتَاك النَّاسُ وَأَفْتَوْك" .حَدِيثٌ حَسَنٌ، رَوَيْنَاهُ في مُسْنَدَي الْإِمَامَيْنِ أَحْمَدَ بْنِ حَنْبَلٍ (#17315) وَالدَّارِمِيّ (#2421) بِإِسْنَادٍ حَسَنٍ.

[11] انظر السخاوي في "المقاصد الحسنة" (ص321 حديث رقم 815 ): حديث (كل أحد يؤخذ من قوله ويرد إلا صاحب هذا القبر) هو من قول مالك رحمه الله، بل في الطبراني من حديث ابن عباس رفعه: ( ما من أحد إلا يؤخذ من قوله ويدع ) .

[12] Il s’agit d’une règle juridique.

من ذلك القاعدة الفقهية : "النادر لا حكم له" أو " العبرة للغالب الشائع لا للنادر". وقال القرافي في " أنوار البروق في أنواع الفروق" : "إذا دار الشيء بين النادر والغالب فإنه يلحق بالغالب".