Agis là où tu es appelé à agir … Sache t’arrêter là où tu n’es plus concerné.

Résumé.

La tentation de se mêler des affaires d’autrui est-elle toujours mauvaise ?

Je dirais que, si elle se subordonne aux principes qui gouvernent notre vie (la sincérité, l’altruisme, le courage, etc.), elle mène à l’empathie, la cime de notre humanisation. Pourtant, si nous nous laissons aller à la tentation de transgresser nos limites (parler plus qu’il n’en faut sur autrui, se sentir interpellé par les faits et dires des uns et des autres, etc.), nous courrons le risque d’enlaidir notre personne et de dévier notre cheminement du droit chemin.

Dans le présent article, nous nous arrêterons avec une tradition du Prophète Muhammad sws ainsi que sur cinq illustrations.

 

 

« Mêle-toi de tes affaires ! » avec plus ou moins de compassion, nous avons tous entendu une telle remarque (il se peut même qu’avec autodiscipline, nous l’eussions entendu de notre conscience). Avec ses différentes expressions et dans des langues diverses, cette phrase peut se féliciter d’être une sagesse ancestrale. Une sagesse que nous trouvons d’ailleurs dans le corpus de la tradition musulmane :

« C’est une excellente pratique de l’islam que de délaisser ce qui ne te concerne pas
(ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas, ceci démontre un beau témoignage de ton islam). »
— Prophète Muhammad sws

Arrêtons-nous avec ce hadîth. Et avant d’entrer dans le côté pratique du texte prophétique, permettez que je retienne avec vous trois éléments théoriques.

Retenons d’abord l’image de l’islam personnifié : tel un corps vivant à travers le musulman, il s’habille de beauté et se couronne d’excellence. La notion de l’islâm renvoie à l’agir (1), or le hadîth habille l’islam de Husn, c.-à-d. de bel-agir. En ce sens, la pratique de l’islam doit être embellie, et la qualité de savoir s’arrêter à ce qui ne nous regarde pas est à même de remplir cet objectif. Remarquons à ce propos que « ce qui nous concerne » (2) est gouverné par les principes et non les intérêts (3). En effet, c’est l’islam qui gît au fond de nous qui est habillé du bel-agir, et non notre ego qui se travestit ou se camoufle derrière des apparences de pratique islamique (4)..

Retenons ensuite que le terme est générique : il englobe toute chose à faire ou ne pas faire. Que ce soit une prise de parole, un acte physique, une pensée/opinion, une activité, un engagement, une consommation, etc. en tout et pour tout, il faut considérer si nous sommes concernés.

Enfin, en considérant le sous-entendu, donnons au hadîth une large portée : le fait de se libérer de ce qui ne nous concerne pas inclut le fait de s’engager là où nous sommes concernés (une matrice avec en lignes agir ou ne pas agir et en colonnes ce qui me concerne ou pas peut être dessiné).

فَاسْتَقِمْ كَمَا أُمِرْتَ - Agis avec rectitude, comme il t’a été prescrit - Coran 11:112 (5)

فَاسْتَقِمْ كَمَا أُمِرْتَ - Agis avec rectitude, comme il t’a été prescrit - Coran 11:112 (5)

Le Prophète nous demande d’agir à un seul endroit et de savoir s’arrêter à un seul endroit. Après cet aperçu de la portée théorique du hadîth, passons à la portée pratique. Je vous propose pour ce faire de nous arrêter à cinq situations où la sagesse prend sa voie, de notre cœur à notre comportement, et de notre attitude aux oreilles de notre interlocuteur.

 

1. quand on parle plus qu’il ne faut des autres.

Tu discutes avec ton conjoint d’un couple lorsque celui-ci commence à en dire un peu plus qu’il ne faut :

- eh ! je t’avais pas dit : quand sa belle-mère est rentrée chez eux, elle a commencé à…

- STOP ! cela ne me regarde pas ! Que Dieu leur facilite !

Tu stoppes la parole pour t’éduquer toi-même à ne pas rentrer dans les histoires personnelles des autres et pour éduquer ton conjoint à taire les paroles encombrantes.

Par cœur, tu te répètes la ligne directrice de Locqman, le sage : “toujours dire la vérité, honorer la confiance des gens à notre égard et délaisser ce qui ne me regarde pas” (6). Lorsque tu discutes de quelqu’un, il faudra dire le vrai (et non l’opinion ou l’apparence du vrai), être digne de la confiance qu’on nous fait (et non trahir ses frères et sœurs) et, même en ayant garanti ces deux principes : s’arrêter où il faut.

2. quand tu es matraqué de pubs

Après une belle journée productive, tu te permets d’ouvrir ton réseau social. En être prévoyant, tu te donnes 15 minutes de répit. Tu n’as pas de but précis et tu te laisses aller au réflexe de l’index qui tire le fil d’actualité vers le bas.. Au bout de 15 min, tu jettes un coup d’œil à l’heure. Dialogue intérieur : « Damn ! le temps passe tellement vite ! » L’index a le temps de revenir à son réflexe.. tu vois alors apparaître une vidéo intitulée : « MUST TO SEE BEFORE YOU DIE! » Heureusement, la sagesse prophétique t’accompagne et tu te reprends : « cela ne me concerne pas. » Tu t’efforces de pratiquer ton islam dans l’excellence et tu fais une diète d’infos inutiles (7).

3. quand ton petit cousin te dit « non ! »

Chaque mercredi après-midi, tu conduis ton p’tit cousin à son entrainement de sport. Cette fois-ci, il entre dans la voiture avec un visage terni.. tu le connais très bien et tu décèles qu’il a un souci ; tu tâtes alors le terrain : « le match contre l’école Duguerre c’est pour la semaine prochaine n’est-ce pas ? » — « hmm.. ouais.. » Tu tentes à nouveau de percer, mais il reste cloîtré dans le silence, il te répond par la négative. Tu décides de continuer la discussion après l’entrainement, auprès d’un chocolat chaud. Après l’entrée en matière, tu lui poses une question directe : « écoute, ça se voit que t’es fâché. T’aimerais m’en dire un mot ? » — « non. » — « écoute.. J’ai ouï-dire que ton père doit beaucoup d’argent pour réparer la voiture.. Et je vois que ton matériel de sport fait honte à tes camarades .. Surtout tes… » ton p’tit cousin frappe du pied et te coupe la parole : « NON ! les histoires de mon père ça LE concerne, et ce qu’il y a entre mon père et moi, ce sont NOS affaires, surtout pas les tiennes. » Tu es réduit au silence. La vérité, crue, sort de la bouche des enfants. Heureusement que tu as la maturité émotionnelle pour digérer le choc. À trop vouloir aider, tu as mal fait. À part toi-même tu te dis : « il a raison, j’ai transgressé mes limites.. de quoi j’me mêle ?! » et tu changes de discussion après t’être excusé.


Plus tard, dans une conférence, une parole résonnera profondément en toi et n’en sortira jamais : « "non" est une phrase complète ».

وَالرُّجْزَ فَاهْجُرْ - Fuis l'abomination (ou: de ce qui provoque la colère de Dieu, écarte-toi) - Coran 74:5 (5)

وَالرُّجْزَ فَاهْجُرْ - Fuis l'abomination (ou: de ce qui provoque la colère de Dieu, écarte-toi) - Coran 74:5 (5)

4. quand tu dis « non ! » pour un plus grand « OUI ! »

Tu avances dans ta mission personnelle et tu gagnes de plus en plus de notoriété. Une fin d’après-midi, tu ouvres un courriel où on te sollicite une énième fois dans un projet qui n’est pas le tien.. Heureusement, tu as appris l’importance de dire « non ! » et tu sais que pour s’élever, il faut lâcher du lest. Aussi, tu as conscience que se transformer en un « oui-oui » t’éloignera non seulement de toi-même, mais des autres aussi (car, à terme, tu laisseras transparaître une personnalité de suiveur et non de leader).. Poliment, brièvement, tu envoies une réponse négative. Ensuite, tu tires de ton étagère The Seven Habits of Highly Effective People et, pour te conforter dans ton action, tu t’imprègnes à nouveau de ce passage:

I don’t mean to imply that you shouldn’t be involved in significant service projects. Those things are important. But you have to decide what your highest priorities are and have the courage—pleasantly, smiling, nonapologetically—to say “no” to other things. And the way you do that is by having a bigger “yes” burning inside. The enemy of the “best” is often the “good”.

5. la quête de l’essentiel

Dans ton cheminement spirituel, tu rencontres une personne qui a un fort souci du détail. Tu commences à peine à prier qu’il te fait remarquer que tu dois te tenir comme ceci et dire cela comme ça… résultat : tu te noies dans le « comment ? » et tu en oublies le « pourquoi ? ». Heureusement, un sage et savant ami te fait savoir que ces détails, pour l’instant, ne te regardent pas. Il faut donner la priorité à la priorité et pour prier, on commence par instaurer les fondements de base : la purification, l’intention, le takbîr, la Fâtiha, etc. les actes conseillés suivront et embelliront davantage ta prière, au moment opportun. Il te laisse un conseil à retenir : gare au souci du détail qui aveugle...

C’est ainsi que ce conclu ma réflexion sur le hadith.. À toi de la poursuivre.. Bon courage, que Dieu t’accompagne dans ta quête d’excellence. Âmîn.


(1) Une des distinctions entre la notion de Imân et Islâm est que le premier met l’accent sur le cœur (croyances) et le second sur l’application (manifester ses croyances, donner vie à ce qui gît dans notre cœur).

(2) Le mot ya’nîh, dans le hadîth, renvoi à ce qui a de l’importance pour nous et qui requiert notre attention, qui fait du sens.

(3) Ibn Rajab Al-Hanbalî [jâmi’ al-‘ulûm wa-l-hikam, p.309] et Shabarkhîtî [al-futûhât al-wahbiyya bi-sharh al-arba’în an-nawawiyya, 216] expliquent que faire ou ne pas faire ce qui nous « concerne » n’est pas par intérêts personnels ou par bonne volonté de notre part (donc guidé par son ego ou ses passions). C’est plutôt en accord avec la Voie (le chemin de la rectitude) et pour notre bien ici-bas et à l’au-delà que nous sommes directement interpellés ou portés par nos principes et notre solidarité vis-à-vis de la justice et du bien-être commun.

(4) Pour donner un exemple. Disons que tu es témoin de la douleur intérieur de ton prochain et que tu souhaites te mêler de ses affaires. Donne-toi un feu vert si ton intention est sincère et que tu as les compétences et le statut pour agir (insiste avec tact pour qu’il mette des mots sur les maux). Donne-toi un feu rouge si ton point de départ est de la curiosité malveillante..

(5) Calligraphie de Osman Özçay. Lien: http://www.ozcay.com/osman.

(6) Rapporté par l’imam Malik dans son œuvre al-Muwatta.

في الموطأ فيما جاء في الصدق والكذب من كتاب الجامع أنه بلغ مالك أنه قيل للقمان : ما بلغ بك ما نرى يريدون الفضل فقال : صدق الحديث ، وأداء الأمانة ، وترك ما لا يعنيني

(7) Si vraiment tu es tenté, prends une note ou une capture d’écran et reviens-y plus tard, lorsque tu auras décidé de le faire.