Exprimer son amour sincère

« Ô Allah ! Aide-moi à Te mentionner, à Te remercier et à T’adorer comme il sied. »

Si tu es musulman-e, il y a de fortes chances que tu connaisses cette invocation que le Prophète Muhammad sws nous invite à répéter après chaque salât. Et pourtant, connais-tu les circonstances dans lesquelles le Prophète Muhammad sws nous a donné ce conseil ? Saisis-tu la portée de cette invocation dans notre éducation ? Et, est-ce que tu as idée que l’essence de ce hadîth (soit le récit qui mène à l’invocation) a pour emblème l’expression de l’amour sincère ?

Le Prophète Muhammad sws nous encourage à exprimer ce noble sentiment, dire « je t’aime » dans ses différentes formes. Ce texte met en lumière un moment de sa vie où il donne à Mu’âdh un enseignement inoubliable. Es-tu prêt à suivre l’exemple de ton Prophète lorsqu’il partage son amour sincère ?


Nous sommes au VIIème siècle, à la ville illuminée — al-Madîna al-Munawwara [1]. C’est dans les ruelles de cette cité que nous assistons à une rencontre remarquable, entre le Prophète Muhammad sws et son compagnon Mu’âdh ibn Jabal [2]. Une rencontre qui réunit un homme sage, accomplissant sa mission sur Terre, et un jeune homme, à l’avenir très prometteur [3].

Imaginons la scène : Muhammad sws aperçoit son cher compagnon. Il s’approche de lui et... il lui prend la main

Le Prophète prenant la main de Mu’âdh, il engage un dialogue [4] :

« - Ô Mu’âdh !

- Me voici ! À ton service ! [5]

- Par Dieu, que je t’aime ! Par Dieu, je t’aime beaucoup !



- Et moi de même, ô Messager d’Allah ! Par Dieu, je t’aime !

- Ne t’apprendrai-je des paroles à dire en clôture de toutes tes prières (salât) ?

- Oui.

- Ô Mu’âdh, ne délaisse pas, après chacune de tes prières (salât) de dire : « ô Allah, aide-moi à me souvenir de Toi et à Te louer et à T’adorer avec excellence. » »
“Muhammad, que la Paix soit sur lui” [6]

“Muhammad, que la Paix soit sur lui” [6]

La scène, relatée par Mu’âdh, s’arrête ici. J’aurais aimé avoir de plus amples détails… sur l’expression des sentiments de Mu’âdh par exemple (lui qui, sûrement, fut submergé d’émotions par cette rencontre du corps et du cœur).. Mais, déjà, le dialogue nous transporte...

Permet-moi de m’arrêter avec toi à trois endroits du récit, avant de clôturer avec la manière dont le récit continue à se transmettre jusqu’à nos jours.

Muhammad sws, le plein d’affection, et son lien avec la jeunesse

Le Prophète Muhammad sws est un être/une personne très affectueux. Il aime les êtres humains/ les âmes humaines profondément. Un noble amour, un amour sincère qu’il puise aux sources de son lien avec al-Wadûd, Dieu, le tout Affectueux, le Plein d’amour. De très nombreux récits et âya nous font part de ses nobles sentiments où il n’hésitait pas à dire « je t’aime »...

À chacun de ces récits, je suis sensible... Et face à Mu’âdh, je suis particulièrement touché par le fait que le Prophète transmet ses sentiments à un jeune compagnon (vraisemblablement aux débuts de sa vingtaine)… Je me souviens, lors de mon séjour à Al-Azhar, du shikh Ahmed Rayan.. Ayant la soixantaine, il nous considérait comme ses enfants (« ya ibnî », nous appelait-il, c.-à-d. « mon fils »). Mon corps comme mon cœur se souviennent encore de ces moments où il me serrait la main et la gardait jusqu’à ce que je la retire, de ces moments où il me conseillait personnellement et de ces fois où il demandait de mes nouvelles si je m’absentais… tout cela, et bien plus encore, le Prophète sws le faisait avec ses compagnons et notamment Mu’âdh ibn Jabal.

Il est tellement beau de voir des liens intergénérationnels. La compassion que réservée par les anciennes générations aux leaders de demain.. La compassion de ceux qui sont à l’âge d’or envers ceux qui se trouvent dans la force de l’âge Le respect et l’admiration des plus jeunes envers leurs aînés… C’est à ce noble lien que je suis tout d’abord sensible... Le prophète, plein de tendresse, qui est là, auprès de la jeunesse.


L’art de dire « je t’aime »

En deuxième lieu, c’est de l’art d’exprimer son amour qui me touche. Le Prophète Muhammad sws l’exprime non seulement avec un grand naturel, mais en utilisant différents langages de l’amour.

De prime abord, il utilise des mots qui affirment clairement son amour : par deux fois il prête serment par Dieu et utilise des procédés rhétoriques de confirmation [7].De plus, il appelle son compagnon par son prénom et crée ainsi un lien de proximité. Un lien naturel, comme entre le père et son fils. Et avec simplicité et intensité, il répète son prénom.. Mu’âdh, Mu’âdh.. Puis, il exprime son amour par la proximité physique : il le prend par la main. Dans l’expression de l’amour finalement, il lui donne un cadeau. Le moment que le Prophète sws crée avec Mu’âdh est en soi un cadeau inestimable (ce don de soi, cette proximité de cœur, n’a, en effet, pas de prix), néanmoins, il y ajoute un apprentissage et lui lègue un sage conseil…

Les sept vertus de l’invocation

Le conseil que le Prophète Muhammad sws transmet à Mu’âdh mérite une attention à plusieurs niveaux. Je m’arrêterai sur sept vertus.

1. La persévérance (lâ tada’anna).

Le Prophète commence par fortifier sa recommandation : « je te recommande vivement de ne pas laisser et de ne pas te lasser de dire l’invocation ». Il incite Mu’âdh à ne jamais se séparer du précieux conseil, et ce après chaque prière (kulli salât). Faire perdurer une action, aussi petite soit-elle, est meilleur qu’en faire beaucoup occasionnellement.

2. Prendre le temps de bien finir chacune de ses prières (fî dubur kulli salât).

Le Prophète nous exhorte à la prière et à l’après-prière [8]. Il s’agit de prendre le temps de bien clôturer sa prière cultuelle avant de se lever et voguer à ses occupations plus ou moins mondaines.

3. Implorer et dialoguer avec Dieu (allahumma).

Le centre de la relation d’adoration se situe dans l’invocation, la communication, avec l’Être adoré. À ce niveau, il est essentiel de remarquer que cet amour réciproque, celui du Prophète pour nous, le nôtre pour lui, est un amour unifié dans et pour l’Un. Ainsi, l’amour qui lie le Prophète à Mu’âdh est l’amour en Dieu : tous deux sont alimentés par l’amour transcendant vers l’Un. Le Prophète fait attention à ce que l’amour qu’on lui voue soit dans cette quête supérieure : il est l’élu qui nous invite toujours à plus de proximité avec Dieu [9].

4. Implorer le soutien divin (a’innî).

Dans un acte d’humilité, sans lequel il ne peut y avoir d’élévation spirituelle, le Prophète inculque à Mu’âdh de demander l’aide de Dieu. De plus, il y a dans l’imploration une juste adéquation entre notre responsabilité personnelle à fournir les efforts nécessaires (si nous demandons de l’aide, c’est que nous avons accompli notre part de responsabilité) et la reconnaissance d’être constamment dans le besoin (le besoin de recevoir le soutien de l’Absolu, de l’Éternel).

5. Demeurer dans le souvenir de Ta présence (zikrik).

Ne jamais oublier Dieu pour ne jamais s’oublier soi ; ne jamais oublier que notre parcours de vie se termine à Dieu. De plus, le souvenir éveil la sincérité dans la quête du bel-agir.

6. Toujours Te dire merci (shukrik).

Un état d’esprit positif qui nous pousse à sourire et à faire rayonner les êtres qui nous entourent (aller de l’avant au lieu de s’apitoyer sur son sort). Le fait de remercier Dieu dit aussi le lien que nous entretenons avec Lui (Dieu ne cesse de nous faire don), un lien présent et indéniable entre nous et notre Bienfaiteur.

7— T’adorer à la perfection (husni ‘ibâdatik).

C’est une quête de l’excellence dans chaque instant de notre vie, puisque chaque instant de notre vie qui se fait dans le souvenir et l’objectif de louer Dieu, est une adoration…

“L’amour est le naturel des êtres nobles” [6].

“L’amour est le naturel des êtres nobles” [6].

Clôture : la magie du moment se transmet de génération en génération.

Si le moment de la vie du Prophète Muhammad sws sur lequel nous nous sommes arrêtés est magique, que dire de l’effet qui retentit sur Mu’âdh ? Nous pouvons voir la réponse transparaître à travers la manière dont celui-ci va faire perdurer le message du Messager sws... En effet, Mu’âdh transmettra l’invocation dans le même contenant que le Prophète lui a offert : il commence par exprimer son amour envers son élève puis il lui enseigne l’invocation à faire après chaque salât... À leur tour, ses élèves transmettront le hadîth de la même manière. Et encore aujourd’hui, si l’on rencontre un savant du hadîth, il nous lèguera l’invocation de la même manière [10].

Je suis certain que Mu’âdh revivait le moment à chaque fois qu’il récitait l’invocation... Est-il possible, pour nous qui recevons le message aujourd’hui, de ressentir (un semblant de) cette émotion… c’est ce que j’appelle de mes vœux. Amîn.

 

[1] La ville de Médine avait pour nom Yathrib. Dès lors que le Prophète Muhammad sws est venu s’y installer, la ville est devenue al-Madîna al-Munawwara (c’était le lundi 12 Rabî al-awwal 622).

[2] Je laisse le soin au lecteur de faire une prière à chaque fois que son nom sera mentionné.

[3] Mu’âdh ibn Jabal s’est convertie à l’âge de 18 ans. Le Prophète sws dira qu’il est le compagnon le plus savant en matière de halal et haram et il l’enverra en tant que savant au Yémen. Mu’âdh décédera dans la région du Shâm, par la peste/épidémie, en 18H/639, à l’âge de 38 ans, rahimahou-Lah wa radiya ‘anh [Usd al-Ghâba fî ma’rifat as-ṣaḥâba 5/194-195].

[4] Le Hadîth est authentique. Il est rapporté par Abû Dâwûd (n.1522), Nasâ’i (n.1303), Ahmed (n. 22119), Bukhârî dans al-adab al-Mufrad (n.533). Il a également été rapporté par Nawawi dans « Les Jardins des Vertueux » où Zakaria Makri le traduit comme tel : « Mu’âdh rapporte que l’Envoyé de Dieu sws le saisit par la main et lui dit : « Ô Mu’âdh, par Dieu, je t’aime ! Je te recommande, Mu’âdh, de ne jamais oublier de dire à la fin de chaque salât : « Mon Dieu ! Aide-moi à Te mentionner, à Te remercier et à T’adorer comme il sied » [Chap. 46. Les mérites de l’amour en Dieu, hadîth n.348].

[5] Le terme labbayk signifie : me voici à ton service, réponse après réponse (le duel est employé afin de signifier la récurrence dans la réponse).

[6] Calligraphie de Osman Özçay. Lien: http://www.ozcay.com/osman.

[7] Au lieu de simplement dire : « je t’aime (uhibbuk) », le Prophète Muhammad sws prête serment par Dieu et ajoute deux procédés de confirmation : la lettre inna et la lettre lâm. Le résultat final pourrait être traduit ainsi : « Par Allah ! Certes je t’aime véritablement (wallâh innî la-uhibbuk) ». Ajoutons que dans la version de Abû Dâwûd, le Prophète sws réitère son affirmation.

[8] Le moment de faire cette invocation est-il avant ou après la salutation finale de la prière ? Deux avis se partagent.

[9] Remarquons qu’il y a là une opposition manifeste avec l’amour qu’on peut avoir pour une célébrité qui appelle à l’amour de sa propre personne et de son œuvre.

[10] Ce hadith a d’ailleurs pour surnom : al-musalsal bil-mahabba, c.-à-d. dont la transmission s’est toujours faite avec l’affirmation d’amour. Concrètement, Mu’âdh a dit à son élève (Abdurahman ibn Usayla as-Sunâbihiy) qu’il l’aimait avant de lui conseiller de ne pas oublier de dire à la fin de chaque prière (…) et son élève fit de même et ainsi de suite. Un hadîth enchaîné (musalsal) est une tradition prophétique que les transmetteurs ont rapportée de la même manière (en tenant les mêmes propos, en accomplissant un même geste, etc.) [« Lexique des termes techniques de la science du hadith » par Nur-ad-Din ‘Itr, traduit par ‘Abd-al-Latif Shirazi et Dawud Gril, p. 97.]

Mahdi TirkawiCommentaire