Célébrer la libération (âshûrâ)

Résumé
Hier, nous célébrions Âshûrâ, c'est-à-dire le 10e jour du mois de Muharram (premier mois du calendrier musulman).

Pourquoi ce jour est-il spécial ? En quoi est-il un rappel pour les croyant.es ?
Ce jour commémore l’exode, soit la libération de Mûsâ et de son peuple de l’oppression de Pharaon.

Dans cet article, je vous invite à contempler une sûrat qui revient sur ces instants de délivrance afin de comprendre que c'est à chacun.e d’entre nous de se libérer, soi-même, et d’œuvrer pour la libération des peuples. Une libération somme toute qui ne peut se faire que par le biais du lien sacré avec Dieu.

 

L’islam est un mode de vie qui célèbre la libération. (1)

Il s’agit de s’affranchir soi-même, tout d’abord. Le musulman et la musulmane se doit de sauvegarder la dignité (karâma) que Dieu leur a octroyée et faire face à tout mauvais penchant qui asservi, à l’illusion de l’ego qui emprisonne. Puis, tout en continuant à cheminer vers sa propre libération, le musulman et la musulmane s’organisent pour créer un mouvement de libération, passant ainsi de la responsabilité individuelle à la responsabilité communautaire, humaine.

Le dix du mois de muharram, nous célébrons plusieurs mouvements de libération qui ont tous commencé par une libération individuelle. L’histoire du Prophète Mûsâ sws avec l’exode est l’événement le plus notoire de ce jour, auquel s’ajoute la libération du peuple du Prophète Nûh sws avec le déluge. Ajoutons à cela la résistance face à l’oppression que mena Al-Husayn, petit-fils du Prophète Muhammad sws. (2)

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Afin d’aborder ce thème avec plus de profondeur, je vous convie à une lecture de la sûrat 26, intitulé « Ash-Shu‘arâ’ (Des Poètes) ». Nous allons pour ce faire cheminer en trois étapes.



Étape 1

Commençons à analyser la sourate là où Dieu nous arrête sur le moment le plus critique dans le processus de libération des fils d’Israël, ce moment où ils se retrouvent entre la mer et l’armée (âya 60-66). (3)

« فَأَتْبَعُوهُم مُّشْرِقِينَ فَلَمَّا تَرَاءى الْجَمْعَانِ قَالَ أَصْحَابُ مُوسَى إِنَّا لَمُدْرَكُونَ قَالَ كَلاَّ إِنَّ مَعِيَ رَبِّي سَيَهْدِينِ فَأَوْحَيْنَا إِلَى مُوسَى أَنِ اضْرِب بِّعَصَاكَ الْبَحْرَ فَانفَلَقَ فَكَانَ كُلُّ فِرْقٍ كَالطَّوْدِ الْعَظِيمِ وَأَزْلَفْنَا ثَمَّ الآخَرِينَ وَأَنجَيْنَا مُوسَى وَمَن مَّعَهُ أَجْمَعِينَ ثُمَّ أَغْرَقْنَا الآخَرِينَ

Au lever du jour, Pharaon et les siens se lancèrent à leur poursuite. Et lorsque les deux groupes furent en vue l’un de l’autre, les compagnons de Moïse s’écrièrent : « Nous allons être rejoints ! » – « Il n’en est rien, fit Moïse. Mon Seigneur est avec moi. Il me guidera. » Nous ordonnâmes alors à Moïse de frapper la mer avec son bâton. Et aussitôt les flots se fendirent en deux, formant de chaque côté comme une énorme montagne. Puis, après y avoir attiré Pharaon et son armée, Nous sauvâmes Moïse et les siens, et engloutîmes leurs ennemis. »

Nous y voyons notamment la pleine confiance du Prophète Mûsâ sws en Son Seigneur. Même si rien dans son champ de vision ne lui inspire confiance, Dieu, qu’il voit avec son cœur, est là et Il est son garant protecteur. Mûsâ sws est pleinement libre parce qu’il s’en remet pleinement à Dieu; même si tout en apparence l’enferme, il trouve la voie : « car Rabbi (mon Maître, Éducateur-Suprême) est avec moi. »

Étape 2

Cela étant dit, portons attention désormais au passage par lequel Dieu clôture ce récit (âya 67-68) :

« إِنَّ فِي ذَلِكَ لآيَةً وَمَا كَانَ أَكْثَرُهُم مُّؤْمِنِينَ وَإِنَّ رَبَّكَ لَهُوَ الْعَزِيزُ الرَّحِيمُ

Il y a là sûrement un enseignement, mais la plupart des hommes ne sont pas croyants. En vérité, ton Seigneur est le Tout-Puissant et le Tout-Clément. »

Dans sûrat Ash-Shu‘arâ’, ce même passage se répète huit fois. Après l’introduction (aya 8-9) et en clôture de l’histoire des sept Prophètes mentionnés dans la sûrat, à savoir Mûsâ, Ibrahim, Nûh, Hûd, Sâlih, Lût et enfin Choaib, que la paix de Dieu soit sur eux. (4)

Et en amont de chacun de ces passages, Dieu nous donne des moyens de nous libérer. Dans l’introduction pour exemple, Dieu nous parle des signes (âyât) dans le Livre qu’on lit (le Coran) et le Livre qu’on voit (l’Univers, la création). À travers les récits des Prophètes, plusieurs preuves et arguments sont énumérés, des modèles nous sont rapportés (les Prophètes, leurs compagnons, les magiciens qui crurent en Mûsâ sws).

Dans tous ces moyens il y a des âyât, c'est-à-dire des signes, des preuves irréfutables pour toute personne qui prend le temps de les contempler.. et Dieu est absolument Puissant et Miséricordieux.

Étape 3

Arrivé.es à ce niveau, allons vers la fin de la sûrat (âya 217-219), là où Dieu appelle Son Messager Muhammad sws et, par son biais, tout fidèle au message :

« وَتَوَكَّلْ عَلَى الْعَزِيزِ الرَّحِيمِ

Confie-toi au Tout-Puissant, au Tout-Compatissant. »

Dieu utilise pour la neuvième fois dans la sûrat les deux Attributs de Izza (la gloire absolue) et de Rahma (la toute miséricorde) pour nous demander de placer notre totale confiance en Lui. Après avoir parcouru les récits des prophètes, après avoir ancré en nous la profondeur de ces deux Attributs, cette relation de confiance prend toute son ampleur.

En continuant la lecture des deux versets suivants, nous recevons ce rappel divin avec lequel je clôture :

« الَّذِي يَرَاكَ حِينَ تَقُومُ وَتَقَلُّبَكَ فِي السَّاجِدِينَ

Celui qui te voit quand tu te tiens seul pour prier, et quand tu te trouves parmi ceux qui se prosternent. »

Le vrai tawakkul s’accompagne d’actions de l’intérieur et de l’extérieur. Il est nécessaire d’avoir des moments pour soi, la nuit en intimité avec Dieu (qiyâm), et d’autres pour ses frères et sœurs, en groupe et dans la proximité (sujûd) (5). Le mot d’ordre que nous recevons est : libère-toi en veillant la nuit en prière, libère-toi avec ta communauté en vous prosternant pour le Plus Grand.

Nous le voyons de manière claire, il n’y aura de libération totale que lorsque le lien avec Dieu sera authentique et constamment nourri. C'est à cette libération que l’islam nous guide. Que Dieu nous mène à Lui, que Dieu nous fasse don de la libération pour nous et l’ensemble des êtres.

 

Notes :

(1) "أصول النظام الاجتماعي في الإسلام" لمحمد الطاهر بن عاشور ص١٥٠.
(2) Concernant la libération du peuple de Nûh sws :

عَنْ أَبِي هُرَيْرَةَ، قَالَ: مَرَّ النَّبِيُّ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ بِأُنَاسٍ مِنَ الْيَهُودِ قَدْ صَامُوا يَوْمَ عَاشُورَاءَ، فَقَالَ: " مَا هَذَا مِنَ الصَّوْمِ؟ " قَالُوا: هَذَا الْيَوْمُ الَّذِي نَجَّى اللهُ مُوسَى وَبَنِي إِسْرَائِيلَ مِنَ الْغَرَقِ، وَغَرَّقَ فِيهِ فِرْعَوْنَ، وَهَذَا يَوْمُ اسْتَوَتْ فِيهِ السَّفِينَةُ عَلَى الْجُودِيِّ، فَصَامَ نُوحٌ وَمُوسَى شُكْرًا لِلَّهِ، فَقَالَ النَّبِيُّ صَلَّى اللهُ عَلَيْهِ وَسَلَّمَ: " أَنَا أَحَقُّ بِمُوسَى، وَأَحَقُّ بِصَوْمِ هَذَا الْيَوْمِ "، فَأَمَرَ أَصْحَابَهُ بِالصَّوْمِ. [مسند أحمد – حديث 8717 – قال محققوا المسند: إسناده ضعيف. وهذا الحديث تفرد به الِإمام أحمد. ويشهد لقصة موسى منه دون قصة نوح عليهما السلام، حديث ابن عباس عند البخاري ومسلم]. قال الحافظ ابن كثير في "البداية والنهاية": وقال قتادة وغيره: ركبوا في السفينة في اليوم العاشر من شهر رجب، فساروا مائة وخمسين يوما واستقرت بهم على الجودي شهرا. وكان خروجهم من السفينة في يوم عاشوراء من المحرم، وقد روى ابن جرير خبرا مرفوعا يوافق هذا، وأنهم صاموا يومهم ذلك. اهـ.

Des récits faibles et d’autres inventés rapportent d’autres faits qui se sont déroulés avec Ashûrâ. Et Dieu sait.

Et concernant l’imam al-Husayn, il meurt en martyre le vendredi 10 Muharam 61H.

" المرتضى سيرة أمير المؤمنين سيدنا أبي الحسن علي بن أبي طالب" لأبي الحسن علي الحسني الندوي، ص٢٤٨

(3) La traduction est reprise de Mohammed Chiadmi.

(4) Voir âya 67-68, 103-104, 121-122, 139-140, 158-159, 174-175, 190-191.(5) "والتوكل : تفويض المرء أمره إلى من يكفيه مهمه (...) والقيام : الصلاة في جوف الليل ، غلب هذا الاسم عليه في اصطلاح القرآن ، والتقلب في الساجدين هو صلاته في جماعات المسلمين في مسجده." التحرير والتنوير سورة الشعراء ١٩/٢٠٤