Soignez ses mots : Guérir de ses maux

Résumé

Il est un vocabulaire à bannir, il en est un autre à entretenir. Et cela tant au niveau du développement personnel et que de l’interpersonnel. Au niveau personnel, il est un vocabulaire qui dévoile un manque de travail sur soi, il en est un autre qui révèle un cœur pur (la pureté de l’intérieur doit, en effet, être attestée par des actes tels que le vocabulaire soigné et les paroles de sagesse). Au niveau interpersonnel, il est des choix de mots qui dévorent l’énergie des interlocuteurs, il en est d’autres qui génèrent de l’énergie et créent un climat d’apaisement. L’action concrète à laquelle exhorte l’article : afin de guérir nos maux, soignons nos mots.

 

Il était une fois, un roi, qui dans le songe vit toutes ses dents tomber. Anxieux, il requerra qu’on interprète son rêve.

Un homme vînt et, après avoir écouté le roi, s’écria : « Il n’est de puissance ni de force que par Dieu ! (formule qui indique la lourde épreuve à surmonter) ». Puis, sous le regard inquiet du roi, il s’expliqua : « mon roi, tous vos parents mourront avant vous ! » Sous cette désinvolture, le roi emprisonna l’homme. Toujours anxieux, il requerra de nouveau qu’on interprète son rêve.

Un sage vînt et, après avoir écouté le roi, dit : « Je vous félicite mon roi ! Vous vivrez plus longtemps que tous vos parents. » Content, le roi honora le sage et lui fit don d’une immense fortune. (1)


La sagesse à retenir de cette histoire est que le choix des mots n’est pas anodin (les deux interprétations du rêve ont le même contenu et pourtant, le contenant a fait toute la différence). Les mots que nous choisissons d’employer ne sont pas anodins parce qu’ils révèlent qui nous sommes et parce qu’ils influencent nos relations interpersonnelles.

Tout d’abord, les mots en disent beaucoup sur nous. Nos valeurs transparaissent à travers le vocabulaire que nous employons, nos centres d’intérêt aussi, notre maturité, notre intelligence émotionnelle... bref, le choix de nos mots dévoile ce qu’il y a en notre cœur. Comme le dit Ibn ‘Atâ-Illah : “Toute parole proférée porte l’habit du cœur d’où elle émane” (2).

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Toute parole proférée porte l’habit du cœur d’où elle émane

“Sagesse de Ibn ‘Atâ-Illah”

Ensuite, bien choisir ses mots est d’une importance capitale pour entretenir de belles relations, fraternelles et enrichissantes. Mettons en contraste deux situations opposées par des choix de mots différents dont ceux-ci provoquent des conséquences antagonistes, afin d’illustrer les répercussions de nos paroles.

  1. Dans la première situation, ton enfant a sous le nez deux beaux filets de morve. Il décide de se moucher avec les mains, chose que tu ne peux pas supporter. Tu as le choix entre le traiter d’« être dégueulasse » ou lui tendre — tendrement — un mouchoir, en l’encourageant de prendre soin de lui-même. Tu as le choix — en termes de conséquences attendues — de l’humilier ou de l’élever.

  2. Dans la deuxième situation, ton conjoint a oublié un rendez-vous galant. Afin de lui exprimer ta frustration, tu as le choix entre lui balancer un « j’te déteste !! » ou bien lui faire part, clairement, de tes émotions (mettre des mots sur les maux) et de tes besoins (se sentir aimé, respecté). Le choix premier peut créer un climat orageux et tempétueux tandis que le choix second pourrait bien remplacer le manquement du conjoint par un apport plus grand.

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Soit tu dis du bien, soit tu t’abstiens ..

Choisis ton chemin.


Avant de conclure, rappelons-nous que nous avons toujours le choix de la manière de nous exprimer. Rappelons-nous d’autant plus que si nous prenons le choix de dire ce que nous ne devrions pas dire, nous nous exposons alors à entendre ce que nous ne voudrions pas entendre (3). Nous garantirions de saines relations en faisant nôtre la sagesse prophétique suivante :

Que celui qui croit en Dieu et au Jour dernier dise du bien ou se taise (soit tu dis du bien, soit tu t’abstiens).

Une profonde sagesse, une sagesse amphibie qui est à la portée de toutes et tous mais qui ne cesse de devoir être travaillée. En effet, l’appliquer demande de la résistance (jihâd). Notamment la résistance à la tentation de parler trop vite. Il nous faut réapprécier les bienfaits du silence et le mérite de prendre son temps... Au demeurant, il convient de nous interroger sur les retombées de nos paroles avant de les exprimer (4).

En guise de conclusion, je vous invite à contempler une âya (5) qui opère la comparaison entre la « parole excellente (kalima tayyiba) » et l’« arbre excellent (chajara tayyiba) » :

« N’as-tu pas vu comment Dieu propose en parabole une très belle parole ? Elle est comparable à un arbre excellent dont la racine est solide, la ramure dans le ciel et les fruits abondants en toute saison, avec la permission de son Seigneur.
Dieu propose aux hommes des paraboles ; peut-être réfléchiront-ils ? »
— Noble Coran

Afin d’appliquer la requête de la âya, je vous invite à prendre le temps de réfléchir et contempler la comparaison (vous pouvez partager le fruit de votre réflexion en commentaire de l’article).

Que Dieu nous aide à purifier notre langage, à purifier notre cœur, à purifier nos relations. Amîn.


(1) L’histoire est contée sans que j’aie pu en trouver la source. Dans son commentaire du Coran (âya 159 de la troisième sûrat), Mohamed Ash-Sha’rawi la raconte pour illustrer son propos.

(2) Ibn ‘Atâ-Illah d’Alexandrie (709H/1309) dans son recueil d’aphorismes soufis « Les paroles de sagesse (al-Hikam) ». Sagesse n.186. Traduction de El Hâj Buret (p. 86, éd. Archè Milano 1999).

(3) Tiré de la sagesse de Chilon, philosophe grec né en 600 av. J.-C. : « quand on dit ce qu’on ne devrait pas dire, on s’expose à entendre ce qu’on ne voudrait pas entendre ».

(4) Comme le dit l’adage, nous ferions bien de tourner sept fois notre langue dans notre bouche avant de parler.

(5) Âya 24 et 25 de la quatorzième sûrat (traduction de Denise Masson). Remarquons que les commentateurs du Coran précisent que la « belle parole » fait référence à la profession de la foi.